Nos vies sont saturées d’images. Films, séries et jeux vidéo enrichissent la culture personnelle des élèves plus massivement que la lecture des livres. Par l’étude de ces formes artistiques ou documentaires en classe, le professeur contribue à transformer les élèves utilisateurs ou spectateurs passifs en joueurs ou en spectateurs critiques. On pourra donc non seulement compléter le cours de français par le visionnage d’un extrait de film ou d’une adaptation en lien avec une œuvre littéraire étudiée, mais aussi placer l’analyse et l’interprétation d’une œuvre cinématographique au cœur d’une séquence d’enseignement.

Les pages 458-461 du manuel Passeurs de textes 2de proposent, en plus d’un récapitulatif des outils d’analyse, quelques exercices d’entraînement. Ces exercices habituent les élèves à manier le vocabulaire spécifique de l’analyse filmique et à porter un regard plus précis sur les images. Pour une meilleure appropriation et pour aider la mémorisation du lexique, les élèves peuvent illustrer le tableau des échelles de plan (p. 458) de deux manières :

– En réalisant les plans indiqués d’un même sujet (choisi ou imposé), ils mettent ainsi en valeur les effets proposés en troisième colonne.

– Lors de la première étude d’une séquence filmique, ils capturent les photogrammes correspondant aux plans cités, puis nuancent et enrichissent l’interprétation des effets provoqués par le choix du plan.

Des ressources indispensables et faciles d’accès

Le site http://ciel.ciclic.fr de la région Centre Val de Loire offre des pistes pour renouveler l’étude du cinéma en classe. Documentaires, courts métrages, analyses et retours d’expérience nous aident à construire une réflexion active sur le cinéma. À ce titre, le site associé http://upopi.ciclic.fr/ est une mine d’or pour le professeur et pour ses élèves. Ils pourront y trouver des extraits illustrant des techniques cinématographiques, des propositions d’exercices d’analyse filmique, des entraînements pour vérifier les acquis, etc. On y découvrira également des frises chronologiques illustrées de nombreux courts-métrages ou extraits de films (la frise retraçant l’histoire des effets spéciaux est particulièrement documentée).

Plusieurs autres régions mettent en ligne des archives cinématographiques locales, dans un but de diffusion et de conservation d’un patrimoine sociologique et artistique. Ces archives ont un intérêt historique, mais peuvent aussi contribuer à la mise en contexte d’une œuvre littéraire. On trouvera la liste ici : http://upopi.ciclic.fr/transmettre/parcours-pedagogiques/lumiere-sur-les-archives. S’ajoutent à ces sources les sites plus fréquentés de l’INA et Gallica.

La cinémathèque de Bretagne, par exemple (https://www.cinematheque-bretagne.fr/), propose de nombreuses archives filmiques dans la collection « mémoire de travail » qui peuvent être étudiées au sein du chapitre sur l’écrivain « porte-parole du monde ouvrier ». On pourra également découvrir à ce sujet sur le site http://ciel.ciclic.fr/ le travail de Chris Marker et du groupe Medvedkine, avec le film Classe de lutte (1969).

Découvrir le film documentaire

Plus généralement, l’objet d’étude « la littérature d’idées et la presse du XIXe siècle au XXIe siècle » est explicitement ouvert à l’analyse filmique. Le professeur est, en effet, invité à « proposer l’analyse de […] films documentaires ou de fiction ». Or, si les fictions cinématographiques sont familières aux élèves, les documentaires sont souvent méconnus, confondus avec les reportages ou les films d’actualités. Les pages « filmer les tragédies du XXe siècle » (p. 406-409) ouvrent la réflexion sur le choix d’un cinéma documentaire ou d’un film de fiction pour montrer les événements tragiques. Tout en réfléchissant aux écarts entre œuvre de fiction et œuvre documentaire, il importe de préciser que le documentariste n’est, cependant, pas réductible au reporter ou au journaliste d’investigation qui entend donner une vision objective de ce qu’il filme. Il est d’abord un auteur et pose un regard personnel et subjectif sur le monde.

Ainsi, des œuvres de documentaristes qui ont marqué le cinéma peuvent être étudiées en classe dans le cadre de ce chapitre :

– Réalisé en 1953 par Chris Marker et Alain Resnais, le court-métrage Les Statues meurent aussi marque l’histoire du cinéma. Longtemps censuré à cause de son regard anticolonialiste, ce film est autant un manifeste qu’une œuvre d’art. Il semble essentiel de le replacer dans le contexte historique (les guerres d’indépendance et la décolonisation française : guerre d’Indochine et d’Algérie) et de remarquer qu’Alain Resnais s’est excusé des simplifications de l’époque. De même, la terminologie raciale de « noir ou de nègre » est à remettre dans le contexte historique. Pour l’étude, nous partons de la question fondatrice du projet : « Pourquoi l’art nègre se trouve-t-il au musée de l’Homme alors que l’aart grec ou égyptien se trouve au Louvre ? » L’étude porte sur le message contenu dans le film et la manière dont il est diffusé (voix off, choix de la musique), sur la composition du film (les statues et les masques sont filmés dans les musées ou en Afrique), sur la composition des images (gros plans sur les matières ou vues d’avion, statues et masques sur fond noir ou filmées en focale longue). Il s’agit bien de donner à voir sans effacer la personnalité ni le regard du réalisateur.

Reporters (1981) de Raymond Depardon est un film représentatif du « cinéma direct ». En effet, des journalistes sont filmés, caméra à l’épaule, pendant leur travail, sans aucun commentaire du documentariste. L’auteur se fond, la plupart du temps, parmi les autres journalistes. Est-il, cependant, objectif ? La question nous incite à analyser précisément le travail du montage, le choix des échelles de plan, du cadrage. Par ailleurs, le film montre le travail des journalistes, tel qu’il se pratique alors (le matériel est encore lourd et encombrant), et aussi quelques-unes de leurs conversations sur leur métier. Sur la fabrication de l’information, on peut voir aussi, de Raymond Depardon, Numéros zéro, tourné en 1977 lors de la création du journal Le Matin de Paris. Le réalisateur tente là encore de disparaître derrière sa caméra afin de recueillir la réalité telle quelle. Si l’on parcourt l’œuvre de Depardon, on remarquera l’évolution de sa démarche vers une présence plus tangible du réalisateur dans son film (dès 1980, avec San Clemente, les patients de l’hôpital psychiatrique de Venise, isolé sur l’île de San Clemente, s’adressent directement à lui, lui offrant une cigarette par exemple) jusqu’à devenir, sinon un personnage, un protagoniste d’un documentaire jouant avec les codes de l’autobiographie (Journal de France, en 2012 : lors du montage, les images tournées se superposent aux images d’archives et aux souvenirs de Raymond Depardon).

– L’ensemble de l’œuvre d’Agnès Varda est d’un intérêt majeur sur la question de la fiction, de l’autobiographie et du documentaire. Variant sa perspective d’un film à l’autre, elle semble viser le documentaire avec Les Glaneurs et la glaneuse (2000) ou Quelques veuves de Noirmoutier (2005), le long-métrage de fiction avec Sans toit ni loi (1985), le film autobiographique avec Les Plages d’Agnès (2008). Mais où classer Jane B. par Agnès V. (1988) ? À étudier de plus près ses films, on voit que les genres fusionnent et se répondent pour porter un regard personnel et néanmoins documentaire sur le monde. De nombreuses interviews sont accessibles pour présenter l’artiste. Avec Visages Villages, en 2017, Agnès Varda et JR mêlent un travail de documentaristes à leurs regards de poète et de plasticien. Cette collaboration donne naissance à un documentaire qui est aussi un magnifique éloge d’une démarche artistique ancrée dans le réel autant que dans l’imaginaire. Qu’est-ce que l’art ? Qu’est-ce que vivre en France au début du XXIe siècle ? Qu’est-ce qu’un portrait ? Autant de questions que soulève le film.

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